Décroissance soutenable
La décroissance est un concept politique, économique et social, se plaçant à l'opposé du consensus politique actuel autour de la croissance économique. Il remet en cause l'idée dominante selon laquelle l'augmentation de la production de marchandises (sous forme de biens ou de services) conduit à l'augmentation du bien-être social et propose de diminuer la consommation et la production afin de respecter le climat, l'écosystème et les êtres humains.
La décroissance n'est pas considérée par ses défenseurs comme un dogme politique, ni un modèle économique. Ainsi pour Paul Ariès : « Ce n’est pas une idéologie ni un modèle économique de plus, c’est d’abord un mot-obus pour pulvériser la pensée économiste dominante. ». De la même façon Serge Latouche considère qu'il s'agit d'une «trouvaille rhétorique heureuse» et préfère le terme d’a-croissance, comme on parle d’a-théisme.
Le qualificatif de soutenable est ajouté (Cheynet-Clémentin, 2001) par opposition au développement durable. Il rend une traduction plus juste du mot anglais sustainable que ne donne pas le terme « durable ». Il exprime, selon les objecteurs de croissance, l'idée que dans les situations où le seuil d'une empreinte écologique correspondant à une planète est dépassé individuellement et collectivement, il n'y a plus de développement économique compatible avec le maintien d'un environnement viable. Selon cette thèse, la seule évolution durable passerait donc avant tout par une révision des mécanismes qui amènent à dépasser ces limites. Pour certains partisans de la décroissance, cela conduit à la nécessité politique d'organiser, voire d'imposer ces changements. Pour ceux-ci, le terme "soutenable" traduit alors le souhait que les politiques engagées ne provoquent pas d'effondrement catastrophique de la société.
CritiquesPar sa nature même, le « mot-obus » décroissance provoque de nombreuses réactions. Ainsi on observe l'apparition de nombreuses critiques provenant de milieux très différents : économistes classiques, marxistes, écologistes réformistes, alter-mondialistes, etc.
Ci-dessous un rapide tour d'horizon des objections faites aux "objecteurs de croissance" :
Critique «classique»
L'objection la plus fréquente faite à la décroissance consiste à mettre en avant le fait que la croissance économique est créatrice de richesses, d'emploi, d'amélioration du niveau de vie et ainsi déduire qu'il s'agit d'une condition nécessaire du progrès et de la stabilité sociale. À contrario la décroissance est considérée comme une récession entrainant chômage, perte du pouvoir d'achat des ménages et violences sociales.
On retrouve ces arguments notamment chez les tenants de l' évolutionnisme économique ainsi que dans la plupart des écoles de pensée économique.
Confiance dans les progrès de la science
Une forme de critique de la décroissance défend l'idée que le progrès technique résoudra la question des énergies, des déchets et de la raréfaction des matières premières. Elle s'appuie sur l'esprit des lumières pour développer une vision technophile et optimiste de la recherche scientifique.
Par exemple, les activités de R&D dans le domaine de l'énergie nucléaire pourraient fournir des solutions de substitution face à la probable pénurie de pétrole. À plus long terme, les partisans de la fusion nucléaire prédisent que les réacteurs de type ITER seront des sources d'énergie quasiment inépuisables et peu polluantes.
Cette vision très fréquente peut s'apparenter à du scientisme lorsqu'elle est poussée à l'extrême.
Destruction créative
Le concept économique de la décroissance est fondé sur l'hypothèse que produire toujours plus implique de consommer de plus en plus d'énergie ou de matières premières, tout en diminuant la main-d'œuvre pour la remplacer par des machines. Cette analyse est toutefois contestée par certains, qui estiment que la technique et les progrès de compétitivité permettent de produire plus avec moins, y compris dans le domaine des services. On cite ainsi souvent l'exemple du remplacement des câbles télégraphiques par les satellites de communication.
C'est que l'on appelle la destruction créatrice, c'est-à-dire le processus de disparition de secteurs d'activité conjointement à la création de nouvelles activités économiques. Cette expression est fortement associée à l'économiste Joseph Schumpeter. Selon les économistes capitalistes, toute innovation technologique importante entraîne un processus de destruction créatrice.
Critique social-productiviste
Le point de vue «social-productiviste» (de la social-démocratie au stalinisme), reconnaît ou partage les soucis environnementalistes de la décroissance mais considère que le contrôle et la stratégie de la croissance permettront un développement matériel croissant. Ainsi pour certains marxistes, le concept de décroissance est vain car il élude la question des rapports sociaux.
Cette critique est très courante parmi les militants de Lutte ouvrière[18], la Ligue communiste révolutionnaire [19] et du PCF [20]
Anti-malthusianisme
Certains opposants à la décroissance l'assimilent à une forme de néo-malthusianisme économique [21], ou à une résurgence de formes antérieures du malthusianisme sous-tendant que la croissance est conditionnée par l'exploitation des ressources, les thèses « anti-malthusiennes » prônant au contraire que l'exploitation des ressources dépend du développement économique.
« Une idée rétrograde »
Le concept de décroissance est parfois présenté par ses détracteurs comme un retour en arrière. Ainsi les objecteurs de croissance qui mettent en avant les valeurs de lenteur et de frugalité, ainsi que la rupture avec la société de sur-consommation sont caricaturés comme des technophobes prônant le retour à l'ère de la bougie, voire à l'âge des cavernes.
On peut noter que cette critique était également adressée au mouvement hippy et au luddisme
Critique tiers-mondialiste
Beaucoup de ses détracteurs considèrent que la décroissance est une idée prônée par les classes bourgeoises des pays développées qui sous couvert de protéger l'environnement, souhaitent en fait empêcher les pays dits « sous-développées » d'emprunter le même chemin économique que les pays occidentaux.
Par exemple Claude Allègre caricature le concept de décroissance en le présentant comme une réduction de la croissance imposée aux pauvres par les riches.
« Un concept moralisant et culpabilisateur »
La décroissance apparait pour certains (notamment dans les milieux libertaires) comme un retour des valeurs chrétiennes de dépouillement et rigueur prônées en particulier par François d'Assise. Par exemple, le mensuel La décroissance, le journal de la joie de vivre est souvent critiqué pour ses positions moralistes.
De leur coté, certains écologistes issus du mouvement politique "les Verts" considèrent avec méfiance les concepts de re-localisation et d’autonomie, qu'ils associent à un repli vers une préférence locale ou nationale. Ainsi qu'une disparition des systèmes de solidarités institutionnels.
Critique de Georgescu-Roegen
L'économiste roumain Georgescu-Roegen a fondé sa « théorie bioéconomique » sur une interprétation libre de la seconde loi de la thermodynamique pour s'opposer à une croissance matérielle et énergétique illimitée, invitant à une décroissance économique. Certains estiment que cette analogie contredit l'analyse scientifique des phénomènes d'émergences et de néguentropie qui affectent les systèmes dynamiques complexes tels que l'organisation sociale humaine.
Décroître jusqu'ou ?
Certains, parmi les écologistes ou alter-mondialistes, craignent que l'objectif de décroissance ne devienne une fin en soi.
Croissance propre
À la marge, un autre courant de pensée estime que le XXIe siècle sera celui de la noosphère, où la principale ressource sera l'information et la culture. Par exemple les partisans de la société de l'information, considère que l'humanité est entrée dans une nouvelle ère technologique, et qu'il est désormais possible, grâce à l'informatique et aux télécommunications, de créer de la richesses (i.e. de la croissance) en produisant des services et de l'information. Cette production « immatérielle » est considérée comme non-polluante. Ce qui permet à certains penseurs (notamment Joël de Rosnay ou Bernard Benhamou) d'affirmer qu'il est possible de générer de la croissance sans produire de déchets.
Le concept de « croissance propre » est un des fondements du développement durable.
Courbe environnementale de Kuznets
Les détracteurs de la décroissance utilisent le concept de courbe environnementale de Kuznets affirmant sur des bases empiriques que certains indices de pollution suivent une courbe en U inversé. Par exemple, la pollution de l'air dans certaines régions de France a augmenté au début de la révolution industrielle, pour décroître après la fermeture des usines.
Toutefois cette théorie est régulièrement remise en question. La plupart des experts s'accorde à dire que l'hypothèse de la courbe environnementale de Kuznets n'est vérifiée que pour certains polluants.
Autorégulation du marché
Les détracteurs de la décroissance pensent que la croissance permet la diminution ou la disparition de certains types de productions. Le capitalisme permettrait ainsi l'arbitrage vers des ressources plus abondantes ou vers d'autres biens, et signalerait par les prix du marché une ressource qui se raréfie. D'autres estiment que la croissance économique a deux effets contradictoires. L'augmentation de la production provoque une augmentation de la pollution, mais elle permet aussi :
* d’enrichir les citoyens qui deviendraient alors davantage soucieux de l’environnement qui est considéré comme un bien supérieur (de fait, les règlementations environnementales sont bien plus contraignantes dans les pays riches démocratiques).
* de dégager des suppléments de revenus susceptibles d’être alloués à la protection de l’environnement.
* de diffuser de nouvelles technologies permettant une meilleure utilisation des ressources économiques.
* enfin, les entreprises finissent par réclamer, sous la pression des citoyens-consommateurs, des mesures visant à protéger un environnement nécessaire à la bonne marche de leurs activités.
Citations
* « Celui qui croit qu'une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est un fou, ou un économiste. » (Kenneth Boulding)
* « La décroissance ne propose pas de vivre moins, mais mieux avec moins de biens et plus de liens. » (Charte de la décroissance)
* « Nul n'a besoin d'être économiste pour comprendre qu'un individu, ou une collectivité, tirant la majeure partie de ses ressources de son capital, et non de ses revenus, est destiné à la faillite. Tel est pourtant bien le cas des sociétés occidentales, puisqu'elles puisent dans les ressources naturelles de la planète, un patrimoine commun, sans tenir compte du temps nécessaire à leur renouvellement. Non content de piller ce capital, notre modèle économique, fondé sur la croissance, induit en plus une augmentation constante de ces prélèvements. » (Bruno Clémentin et Vincent Cheynet)
* « Les symptômes d'une crise planétaire qui va s'accélérant sont manifestes. On en a de tous côtés cherché le pourquoi. J'avance pour ma part l'explication suivante : la crise s'enracine dans l'échec de l'entreprise moderne, à savoir la substitution de la machine à l'homme. Le grand projet s'est métamorphosé en un implacable procès d'asservissement du producteur et d'intoxication du consommateur. » (Ivan Illich dans son livre La Convivialité)
* « Où est, s'il vous plait, la garantie du progrès ? » (Charles Baudelaire)
* «Si l'humanité entière se comportait comme les pays du Nord, il faudrait deux planètes supplémentaires pour faire face aux besoins.» (Jacques Chirac au sommet de la Terre à Johannesburg le 2 septembre 2002)
Citations critiques
* « Les "décroissants" se proclament humanistes, mais ils ne croient pas en l'homme. Leur pessimisme leur fait dire que l'humanité ne sera pas assez inventive pour trouver des énergies de substitution au pétrole ni assez raisonnable pour éviter un désastre écologique. Mais ils laissent à son sort le milliard d'êtres humains qui vit avec moins de 1 dollar par jour. », Pierre-Antoine Delhommais dans une chronique parue dans le journal français Le Monde.
* « La décroissance est une alternative destructrice. », Nathalie Kosciusko-Morizet, déléguée générale de l'UMP à l'écologie, dans Aujourd'hui en France, le 26 novembre 2006.
wikipedia